Anti-impérialisme : quels alliés possibles pour le prolétariat?

[ NDLR: édition originale remise à jour sur TML le 20/04/2019
https://tribunemlreypa.wordpress.com/2019/04/18/en-reponse-a-aymeric-monville-et-a-son-texte-latlantisme-voila-lennemi/   ]

https://asialyst.com/fr/wp-content/uploads/2017/04/CHINE-ETATS-UNIS-RENCONTRE-TRUMP-XI-e1491560019482.jpg

Anti-impérialisme:

quels alliés possibles

pour le prolétariat?

En réponse à Aymeric Monville

et à son texte

« L’atlantisme, voilà l’ennemi… ! »

A propos de l’«anti-atlantisme» du PRCF et en réponse à l’appel Kollaborationniste pro-impérialisme chinois de M. Monville (PRCF) par sa…

 

« Proposition liminaire pour penser l’impérialisme dans le moment actuel »

(   Aymeric Monville – L’atlantisme, voilà l’ennemi…!_  )   Doc PDF

Bien évidemment, il est stupide de se livrer à une lecture et à un application dogmatique des classiques du Marxisme-Léninisme, que ce soit Marx, Lénine, mais aussi Dimitrov, du reste…

Ce qui reste essentiel, en tout temps, c’est l’analyse de l’infrastructure, de la base économique. C’est ce qui détermine les interactions dans la superstructure, et notamment, les rivalités entre puissances économiques et financières.

Ce n’est donc pas pour rien que Lénine insiste sur la dimension internationale du capitalisme financier, dès son époque. Ce sont déjà essentiellement les mouvements de capitaux entre les nations qui déterminent leurs rapports de force.

Dans la définition de l’impérialisme le critère d’exportation de capitaux est déjà essentiel, non pas en soi-même, évidemment, mais bien en tant qu’instrument de domination politique et économique d’une nation sur une ou plusieurs autres.

Autrement dit, une nation impérialiste a d’abord une balance excédentaire dans ses échanges de capitaux, en export de capitaux. Le critère d’une balance commerciale excédentaire n’est pas suffisant en soi, voire même, pas indispensable, on le voit bien avec la situation actuelle des USA…

Évidemment, au cours de la phase d’ascension d’une puissance impérialiste, l’un ne va pas sans l’autre.

La base de départ reste le développement d’une industrie lourde relativement endogène, qui permet notamment la constitution d’un complexe militaro-industriel.

Mais au delà de cette base, c’est bien la capacité de domination financière qui est l’élément décisif, l’arme principale et le nerf de la guerre, au propre comme au figuré, sur le terrain comme sur les marchés.

Autrement dit, encore, c’est M. Monville lui-même qui introduit ici une confusion majeure sur la base d’une lecture dogmatique de Lénine :

« C’est pourquoi, pour le moment, toutes les discussions – fréquentes dans nos milieux – sur la réalité, l’importance ou la dangerosité d’un impérialisme russe ou chinois, certes, sont légitimes dans la mesure où la Russie et la Chine participent à l’exportation de capitaux sur la base de la fusion du capital bancaire et du capital industriel en capital financier, critère léninien majeur de l’impérialisme, »

Alors que ces « discussions », précisément, ne sont « légitimes » que sur la base de l’analyse des chiffres, des rapports de proportions, de la réalité des balances commerciales et financières de ces pays, et donc dans quelle mesure ils ont ou auraient les moyens d’en asservir d’autres par leurs exportations de capitaux, notamment, sinon même, essentiellement. En effet, quelle serait la signification d’une éventuelle conquête ou domination territoriale stricto sensu, si celle-ci coûte nettement plus chère au pays conquérant que ce qu’elle ne peut lui rapporter, et à la limite, risque même de le ruiner financièrement ? (…Voir le cas de l’URSS en Afghanistan!)

Dès 1916 Lénine pointe déjà le fait que la conquête territoriale directe n’est pas le trait dominant de l’impérialisme, mais que c’est bien la domination financière. L’interventionnisme ne vient déjà plus, en quelque sorte, que seconder ou compléter la domination économique et financière, et non la précéder.

Le cas du fascisme allemand et même italien (…et de l’expansionnisme nippon, du reste) est donc en quelque sorte atypique, dans cette définition, et c’est ce qui en fait la particularité, du reste.

Ce sont des puissances arrivées tardivement à la table du partage mondial, et qui doivent donc utiliser des moyens « rétrogrades » en quelque sorte, pour s’y imposer.

On voit donc bien, également, en quoi la situation actuelle diffère de celle de l’époque de Dimitrov et en quoi il faut donc se garder de transposer ses principes comme base de notre stratégie actuelle.

Évidemment, on pourrait être tenté d’assimiler la stratégie actuelle de la Russie à ce type de démarche, et certains, même et surtout « à gauche », ne se gênent pas pour le faire, mais qu’en est-il, réellement, de la base économique et financière de la Russie actuelle, et surtout, en comparaison de la Chine et des USA ?

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2018/02/20/limperialisme-nest-pas-un-complot-cest-un-systeme-economique-a-la-base-du-capitalisme-mondialise/

Extrait : « Si le budget militaire US représente à lui seul 40% du budget militaire mondial, il en va de même déjà simplement pour la capitalisation boursière située aux USA, qui représente donc également 40% du total mondial. Sur l’ensemble mondial des titres financiers, ce sont largement plus de 50% qui sont contrôlés par des américains…

Par comparaison, la capitalisation boursière de la Chine, son challenger, équivaut à 40% …de celle des USA, soit environ 16% du total mondial.

La capitalisation boursière de la Russie, pour sa part, représente moins de 1,5% de la capitalisation US, soit aux environs de 0,6% du total mondial !

Une seule entreprise américaine, comme Apple, représente à elle seule plus du double de la capitalisation boursière totale en Russie… !

Et qu’en est-il de l’exportation « massive » de capitaux russes qui devrait être la manifestation essentielle de cet « expansionnisme » dévergondé… ?

Comparons les chiffres chinois et russes pour l’année 2016 :

La Chine a exporté en 2016 pour 183 Millards de Dollars de capitaux, et en a importé 133, soit un différentiel POSITIF, pour l’export, de 50 Mds de Dollars.

https://www.tradesolutions.bnpparibas.com/fr/implanter/chine/investir

Cette même année, la Russie a importé en tout moins de 33 Milliards de Dollars, et n’en a exporté que 22, soit un solde NEGATIF de près de 11 Mds.

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/File/438470

Et encore, selon la source, environ 70% de ces 22 Mds exportés le sont vers des « zones à fiscalité privilégiée », et ne sont donc pas réellement de l’investissement productif. Plutôt de l’évasion fiscale, en termes moins diplomatiques… »

Il est donc particulièrement absurde de parler de la Russie et de la Chine comme deux candidats également potentiels au titre de challenger impérialiste des USA ! C’est manifestement vrai dans le cas de la Chine, et faux dans le cas de la Russie.

Le fait que la Russie ait une alliance relativement privilégiée avec la Chine par rapport aux USA et même par rapport à l’Europe c’est encore une évidence géostratégique qui peut se passer d’explication mais qui n’infère rien, quoi qu’il en soit, et à priori, concernant la nature de classe de ces deux États. Une autre évidence est cependant que ce sont bien deux États capitalistes, quoi que certains le nient encore, y compris le PC chinois lui-même, du reste, et pour commencer !

Ce n’est donc pas non plus la nature de classe qui les distingue, mais, simplement et précisément, le stade de développement du capitalisme où ils en sont :

La Chine est bel et bien rentrée dans le concert des nations impérialistes et la Russie, non !

Quant à l’interventionnisme russe, on voit bien qu’il est quasiment contraint et forcé comme seule voie de résistance à l’encerclement imposé par les USA et que ses gains de territoires sont quelque part entre minimes et dérisoires en termes d’expansionnisme, visant à ne récupérer que marginalement ce qui était la zone d’influence de l’URSS.

Que la Russie en arrive à soutenir économiquement et militairement d’autres pays eux-mêmes victimes des manœuvres et manipulations de l’impérialisme US, cela fait manifestement partie d’une stratégie de résistance solidaire bien compréhensible mais certainement bien plus coûteuse que lucrative et cela n’en fait en rien la marque d’un impérialisme, au contraire.

Que la Chine encourage peu ou prou cette stratégie, cela se comprends d’autant plus aisément que cela lui évite de mettre les mains dans le cambouis et éventuellement les doigts dans l’engrenage. Pour ses propres ambitions, elle a d’autres moyens, avec des exportations de capitaux qui deviennent considérables et omniprésentes.

https://media.ouest-france.fr/v1/pictures/8abeee6d276c6645579c4f1029a7f6ad-argentine-le-diner-entre-trump-et-xi-jinping-s-est-tres-bien-passe.jpg?width=1260&height=712&fill=0&focuspoint=50%2C24&cropresize=1&client_id=cmsfront&sign=e44c51cfcf2dd19573da0901cb9920df9dec23f4740edc5437293b5a05a03e5a

Une première conclusion qui s’impose, c’est qu’en termes d’alliances tactiques éventuelles, pour les communistes marxistes-léninistes, ces deux pays ne peuvent absolument pas être considérés de la même manière.

Ce point est important, car, à l’évidence, c’est le sujet de l’article : les communistes doivent passer des alliances…

Mais des alliances dans quel but ? A priori, le titre l’indique, c’est l’influence de l’impérialisme US, sinon cet impérialisme lui-même, qu’il faudrait combattre. A priori, une intention louable de l’auteur, donc, face aux ravages que cause cet impérialisme à l’échelle mondiale, une autre évidence, effectivement, qui a du mal à se dissimuler malgré les efforts médiatiques incessants du système dans ce but.

Mais combattre l’hégémonie US ne peut se faire sans lui opposer une alternative politique crédible, et c’est là que le flou le plus total s’installe dans le propos de M. Monville.

Si le socialisme y est évoqué, on comprend bien que ce n’est pas sa préoccupation immédiate, ( «  plus tard la construction du socialisme »), et l’on cherche à comprendre le « détour tactique » par lequel il veut nous faire passer…

Bien malin celui qui trouverait qu’il nous en fait un exposé limpide, mais néanmoins, il se réfère assez clairement au PRCF, et cela nous rend donc la stratégie de ce parti encore un peu plus douteuse et incompréhensible qu’elle ne l’était déjà, au lieu d’un d’éclaircissement espéré.

Où veut-il en venir ? On se rappelle qu’un paradigme de départ de son propos serait la différence de situation entre l’époque de Lénine et la notre, et qui inviterait donc à une « relecture non dogmatique » de ses principes, une évidence dont on a également bien voulu convenir.

Selon l’auteur il y aurait donc une nouvelle étape caractéristique du capitalisme de notre époque, qu’il appelle « capitalisme des monopoles généralisés », selon une formule qu’il reconnaît lui-même emprunter à Samir Amin. On se demande bien ce que serait le sens d’un monopole, …s’il n’était généralisé, mais voyons ce que Samir Amin voulait mettre dans ce concept, et qui aguiche tant M. Monville…

Selon Samir Amin, ce qui caractériserait une nouvelle étape serait le caractère transnational du capitalisme… (« Capitalisme transnational ou Impérialisme collectif ? » https://www.pambazuka.org/fr/global-south/capitalisme-transnational-ou-imp%C3%A9rialisme-collectif ). Or, à l’évidence, un tel caractère transnational du capitalisme n’a rien de spécialement nouveau et se trouvait déjà parfaitement mis en lumière par Lénine lui-même, notamment à travers sa description du système des « participations croisées » entre monopoles internationaux. Il y a donc, toujours à l’évidence, une interaction dialectique entre le caractère relativement national des pôles de concentration du capital financier et leurs ramifications internationales. Que cette dialectique soit de plus en plus active dans la phase de mondialisation actuelle, c’est un développement qui ne fait que confirmer la justesse des analyses de Lénine, mais n’apporte rien de nouveau en soi, et évidemment pas en termes d’une éventuelle nouvelle étape du capitalisme.

Ce que M. Monville prétend donc « découvrir » à travers la littérature de Samir Amin et de ses alter ego, ce serait une nouvelle « déperdition de souveraineté dont notre peuple est victime ». et qui imposerait donc de « comprendre que, bien que la France soit elle aussi un pays impérialiste, son peuple a besoin d’être défendu en tant que tel. » … « La classe ouvrière ne doit pas s’interdire de passer des alliances – comme toutes les alliances : ponctuelles, et sur la base de l’intérêt réciproque – avec des forces non communistes qui défendent l’indépendance nationale de leur pays. » 

Et c’est donc contre cette « déperdition de souveraineté » que M. Monville se propose donc de « passer des alliances »… Or, comme on l’a vu, une telle « déperdition », intrinsèque au capitalisme, et encore plus, à l’impérialisme, n’a rien de nouveau.

C’est clairement pour les pays victimes de l’impérialisme que cette « déperdition » impose des conditions particulièrement dégradantes et ouvre une possibilité d’alliance entre prolétariat et bourgeoisie nationale, s’il s’en trouve une, et non, bien évidemment, dans les pays impérialistes eux-mêmes !

Du reste, M. Monville semble tout de même être assez lucide pour constater la disparition de toute bourgeoisie nationale en France, actuellement.

« le gaullisme en France est devenue une option subjective et nostalgique mais non plus l’expression d’une classe, en l’occurrence une bourgeoisie nationale capable de résister. »

Et donc, ipso facto, son « parallèle » avec la situation des années 30 et du front anti-fasciste tombe de lui-même, et le panel de forces « nationales » auquel il prétend s’adresser reste pour le moins mystérieux !

Pour en finir, et tenter de comprendre, il nous faut donc en revenir au début, là où il nous parlait d’alliance avec tel ou tel impérialisme, comprenant bien, in fine, que c’est donc nécessairement, en réalité, de l’impérialisme chinois qu’il s’agit.

Il nous parle donc du PRCF comme d’un prétendu « parti marxiste-léniniste » qui deviendrait l’allié d’un « front de libération nationale », libérant la France, de quoi déjà? Ah, oui, certes, de l’ « Atlantisme »… « Voilà l’ennemi » ! Et donc, finalement, pour faire de la France un satellite de la Chine… Solution qu’une bonne partie de la bourgeoisie française monopoliste serait certainement capable de choisir d’elle-même, même sans les conseils « avisés » de M. Monville et du PRCF, effectivement, en cas de renversement du rapport de forces international.

D’ici là, le PRCF peut continuer à recycler les discours creux de Samir Amin et consorts, ce n’est pas grave, il n’est là, au mieux, que pour fournir l’emballage, de toutes façons.

Ceci-dit, bien évidemment, il ne s’agit pas de substituer à une stratégie de collaboration de classe avec l’impérialisme chinois une stratégie qui se limiterait au soutien à la bourgeoisie nationaliste russe, ou même à la lutte de résistance du peuple russe contre l’impérialisme US et ses clones dans la région.

La priorité stratégique reste évidemment le développement des luttes de classe en France, et notamment et y compris contre la politique interventionniste de l’impérialisme français. Avec l’objectif de construire une avant-garde prolétarienne marxiste-léniniste, la dimension internationaliste des luttes doit prendre une importance de plus en plus grande, dans un contexte de résistance globale contre la « mondialisation » impérialiste.

Cela inclut à la fois le soutien aux luttes de libération nationale qui se poursuivent encore, et en premier lieu, en Palestine, mais aussi un soutien dialectique aux nations en lutte pour conserver leur indépendance contre l’impérialisme, qu’il soit US, français ou autre…! Dialectique, parce que ce soutien doit également s’articuler avec les luttes sociales des prolétaires de ces pays, y compris contre les aspects réactionnaires des politiques de leurs bourgeoisies nationales. Comme c’est le cas avec la lutte des prolétaires russes contre la réforme réactionnaire des retraites.

Dialectique, également, parce que cela doit nous amener à discerner les actions interventionnistes que les bourgeoisies nationales sont amenées à faire en résistance contre l’impérialisme des actions interventionnistes impérialistes elles-mêmes, comme c’est le cas en Syrie.

Luniterre

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Pour aller plus loin:

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2018/02/20/limperialisme-nest-pas-un-complot-cest-un-systeme-economique-a-la-base-du-capitalisme-mondialise/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2018/03/03/capitalisme-et-imperialisme-sont-les-deux-faces-dune-meme-piece/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2018/10/07/2008-2018-situation-internationale-10-ans-de-crise-quel-remede/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2015/09/01/de-la-structuration-maoiste-de-la-bulle-chinoise/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/chine-capitalisme-ou-socialisme-aux-racines-du-maoisme/

https://tribunemlreypa.files.wordpress.com/2019/04/samir-amin-capitalisme-transnational__.pdf

Aymeric Monville – L’atlantisme, voilà l’ennemi…!_

 

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